Les études épidémiologiques des troubles du spectre de l’autisme s’accordent toutes historiquement pour décrire un sex-ratio déséquilibré de ces troubles en défaveur des garçons. Le sex-ratio de 4 garçons atteints pour 1 fille reste admis mais récemment soumis à discussion. Il pourrait en effet s’avérer plus équilibré qu’il n’y paraît même s’il a longtemps été sous-tendu par des arguments biologiques, hormonaux et/ou génétiques. Dans les populations autistes avec déficience intellectuelle, le sex-ratio serait de 2 garçons pour 1 fille1 tandis que parmi les personnes sans déficience intellectuelle, le sex-ratio serait plus déséquilibré encore : au-delà de 5 garçons pour 1 fille atteinte. L’accès facilité aux consultations diagnostiques, la meilleure reconnaissance des formes de troubles du spectre de l’autisme sans déficience intellectuelle sous l’impulsion notable des témoignages des usagers eux-mêmes ne démentent pas jusqu’alors ce déséquilibre « hommes-femmes » mais le modèrent clairement.
Plusieurs facteurs ont été étudiés pouvant expliquer ce déséquilibre : un tableau clinique différent, un « camouflage » des symptômes plus volontiers possible chez les femmes, des mécanismes physiopathologiques différents, des facteurs protecteurs féminins (v. figure)… L’âge même du primo-diagnostic diffère généralement entre les garçons et les filles : plus tardif en cas d’autisme sans déficience intellectuelle associée, il l’est encore plus chez les jeunes filles ou jeunes femmes autistes sans déficience intellectuelle comparativement aux jeunes gens avec autisme sans déficience. Ces constats suggèrent que les filles atteintes d’autisme pourraient être sous-diagnostiquées ou recevoir des diagnostics erronés.
Les théories anciennes dites cognitives publiées dès les années 1980 soutiennent la possible différence symptomatique et étiopathogénique entre l’autisme féminin et masculin. L’équipe de Baron-Cohen soumet sa théorie de « cerveau masculin » dont l’autisme serait la dimension extrême. Selon Baron-Cohen, les hommes ont une capacité de « systématisation », à savoir un comportement adaptatif et social régi par des règles et lois, versus l’« empathisation » dont le cerveau féminin serait l’apanage, plutôt régi par l’empathie, la capacité à reconnaître les émotions d’autrui et à se comporter en rapport. Il montre ainsi que les autoquestionnaires de quotient d’empathie (EQ) et quotient d’autisme (AQ) différencient clairement les hommes et les femmes en population générale « neurotypique », alors même que ces questionnaires ne discriminent pas les hommes des femmes autistes, argument tendant à montrer que les femmes autistes auraient elles aussi ce profil cognitif « masculin » ou un profil intermédiaire plus complexe à identifier en raison d’une appétence sociale plus développée. Cette hypothèse cognitive pourrait même être étayée par des hypothèses biologiques et génétiques plus récentes si l’on considère les études de taux de testostéronémie fœtale chez les enfants avec autisme ou la possible protection hormonale liée à l’ocytocine chez les filles.
Outre les hypothèses étiopathogéniques, nombre d’auteurs ont tenté de discriminer les tableaux cliniques autistiques par genre, suspectant une symptomatologie différente. Ces études se heurtent à des biais méthodologiques certains. Les outils diag-nostiques existants et recommandés pourraient s’avérer moins fiables qualitativement et quantitativement, et de nouveaux outils standardisés pourraient être nécessaires au diagnostic de l’« autisme féminin ». Les filles autistes semblent en effet avoir de meilleures aptitudes dans les interactions sociales que les garçons2 tandis que ces derniers auraient des intérêts restreints et comportements stéréotypés (symptômes de la deuxième dimension autistique qu’est la « recherche d’immuabilité ») plus bruyants ou atypiques facilement visibles au cours d’une évaluation diagnostique.3 La sensibilité même de l’échelle ADOS (autism diagnosis observation schedule), principal outil standardisé d’aide au diagnostic d’autisme paraît moindre lorsqu’elle est appliquée à des femmes versus des hommes.4 Ce défaut pourrait s’expliquer par la construction même des outils diagnostiques appliqués aux troubles du spectre de l’autisme, largement développés à partir de populations à prédominance masculine. Si l’on considère en effet des tableaux symptomatiques différents selon le genre, il serait nécessaire de développer des outils diagnostiques standardisés spécifiques validés par genre au sein de nouvelles cohortes.
La plupart des études menées dans l’autisme s’appuient sur des groupes de patients mal appariés en âge et niveau cognitif, ce qui biaise également les descriptions et statistiques entre hommes et femmes. Certaines études menées sur des groupes rigoureusement appariés comparant garçons et filles ont échoué à mettre en évidence une différence en termes de symptomatologie et de sévérité d’autisme liée au genre.5 Il pourrait en être autrement chez les adultes, ce qui peut expliquer le retard diagnostique ou des erreurs diagnostiques chez les femmes autistes adultes sans déficience intellectuelle. Si l’on considère que ces femmes mettent en place des mécanismes de compensation différents, ou bénéficient de facteurs protecteurs propres, l’évolution à l’âge adulte des petites filles pourrait compliquer et « brouiller » leur diagnostic de troubles du spectre de l’autisme sans déficience intellectuelle. Les femmes adultes soumises à une échelle ADOS, observation diagnostique standardisée adaptée à l’âge et au niveau de langage, semblent avoir un moindre handicap socio-communicationnel que les hommes, de meilleures capacités d’imitation et de gestuelle de communication, mais plus de particularités sensorielles durables au cours de leur vie. Cette meilleure compensation sociale pourrait expliquer les différences de prévalence entre hommes et femmes, leur phénotype « socio-communicationnel » s’améliorant avec le temps.
Les outils diagnostiques recommandés, développés sur les critères de la 4e version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV), s’appuient de façon prédominante sur les aptitudes socio-conversationnelles défaillantes et des intérêts restreints atypiques ou des comportements externalisés qui ne correspondent peut-être pas au phénotype féminin. Le DSM-5, classification nosographique publiée en 2013 par l’Association psychiatrique américaine, qui tient compte des particularités sensorielles dans la deuxième dimension symptomatique des troubles du spectre de l’autisme, pourrait ainsi s’avérer plus pertinent et plus fin dans la description de l’autisme de la fille.
Ce retard à établir un diagnostic chez les jeunes filles et femmes ayant des troubles du spectre de l’autisme sans déficience intellectuelle associé aux tentatives de « camouflage social » qu’elles sont aptes à mettre en place génère par ailleurs de grandes souffrances et des comorbidités différentes de celles des hommes, à l’origine de diagnostics erronés de « troubles de la personnalité », de « troubles de l’humeur » ou de « troubles du comportement alimentaire » isolés. La théorie du « camouflage » déjà énoncée par L. Wing dès les années 1980 reposerait sur cette volonté des jeunes filles autistes et leurs meilleures capacités d’interaction sociale que les hommes à répondre à la désirabilité sociale exigée par leurs pairs et leur entourage. Cependant, nombre d’entre elles témoignent de leur épuisement, leur stress, leurs troubles anxiodépressifs secondaires qui seraient plus présents chez les femmes autistes que chez les hommes autistes.
Cette stratégie de mimétisme de « surface » reste associée à la naïveté sociale et aux difficultés de compréhension sociale et affectives subtiles inhérentes aux troubles du spectre de l’autisme. Le corollaire du « camouflage » se traduit alors bien souvent par une victimisation et des harcèlements, y compris sexuels, plus nombreux chez les femmes autistes que chez les hommes. Les relations intimes et romantiques « normatives » intéressent particulièrement les jeunes filles et jeunes femmes ayant des troubles du spectre de l’autisme sans déficience intellectuelle. Toutefois, elles restent en difficulté dans leurs interactions sociales et leur compréhension des codes sociaux implicites, ce qui explique des expériences sexuelles plus souvent négatives, un vécu anxieux plus important que les hommes souffrant de troubles du spectre de l’autisme sans déficience intellectuelle. Leurs parents et proches, particulièrement inquiets de ces relations, leur apportent certes une connaissance, mais qui semble bien différente de celle apportée naturellement par les pairs dans les groupes d’adolescents neurotypiques au cours de leur puberté. Ces sources d’information et de connaissances différentes majorent sans doute le vécu anxieux des jeunes femmes autistes6 qui s’exposent d’autant plus à des abus sexuels, des agressions, sans pouvoir développer de relations affectives durables, le plus souvent. Outre l’anxiété liée aux transformations pubertaires et le mal-être ressenti durant cette période, la nécessité de proposer des programmes éducatifs appropriés aux jeunes femmes ayant des troubles du spectre de l’autisme sans déficience intellectuelle s’impose, au même titre que furent développés par le passé de nombreux programmes dévolus aux personnes ayant une déficience intellectuelle.
Améliorer le diagnostic d’autisme chez les filles représente un enjeu majeur en termes de précocité des soins et accompagnements, au risque que ces jeunes filles et femmes restent diag-nostiquées tardivement et/ou seulement prises en charge pour leurs comorbidités psychiques (traumatiques ou dépressives). De nouveaux outils diagnostiques sont sans doute à développer en ce sens, plus proches des descriptions cliniques actuelles et du DSM-5, qui permettront par ailleurs de mieux étudier les mécanismes étiopathogéniques sous-jacents et les facteurs protecteurs des troubles du spectre de l’autisme.